Tueur à gages à louer… en ligne
Essam Ahmed Eid trouvait son travail au casino de Las Vegas plutôt ennuyant. Il a donc décidé d’ouvrir un site qui offrirait un service des plus inusités : la location de tueurs à gages.
Selon ce qu’il a par la suite déclaré aux autorités, Eid n’avait en fait aucunement l’intention de tuer qui que ce soit. Sa stratégie consistait à ne pas tuer la victime désignée mais plutôt à lui annoncer que quelqu’un avait payé pour mettre fin à sa vie et qu’il lui offrait, magnanimement, l’opportunité d’avoir la vie sauve en payant plus d’argent que son client.
Essam Eid, un Égyptien de 53 ans, a ouvert son site web hitmanforhire en 2006 : on y voyait la silhouette d’un gangster à la Al Capone et un texte qui annonçait : «Les assassinats sont la solution la plus pratique aux problèmes de tous les jours. Grâce à Internet, commander un meurtre n’a jamais été aussi facile. Nous gérons un réseau d’assassins à la pige, disponibles pour tuer en tout temps.» Un mois plus tard arrive son premier client, Marissa Mark, 28 ans, qui lui demande de tuer la nouvelle petite amie de son ex.
Anne Royston, la victime prévue, est une courtière hypothécaire du sud de la Californie. Elle reçoit un premier appel du tueur à gages en septembre 2006. Ce dernier lui raconte qu’il veut ré-hypothéquer sa maison. Quelques jours plus tard, Eid et une femme qu’il présente comme étant son assistante sont dans le bureau de Royston, soi-disant pour régler l’affaire. Quand celle-ci glisse vers Eid quelques papiers à signer pour compléter la transaction, il les repousse et lui annonce plutôt que quelqu’un veut la tuer, quelqu’un qui la déteste vraiment.
Eid lui montre un courriel prouvant que Marissa Mark a déposé 17 000 $ dans son compte de banque. Il avertit ensuite Royston qu’il ne la tuerait pas parce qu’elle lui fait penser à sa propre fille et lui offre de tuer Marissa Mark plutôt que de la tuer, elle. Royston refuse. Après quelques négociations, Eid et son associée (qui a par la suite été identifiée comme étant sa femme, avec qui il vivait, dans un étrange triangle amoureux, dans la maison de sa première femme, dont il n’avait jamais divorcé… Bizarre, vous avez dit bizarre ?), lui offrent la vie sauve si elle accepte de payer le solde du contrat, soit 37 000 $, sur quoi le couple quitte les lieux, question de laisser le temps à Royston de trouver l’argent. Elle décide plutôt d’appeler la police.
C’est ainsi que, pendant qu’un agent du FBI écoute leur conversation, Royston appelle le tueur à gages. Celui-ci commence par lui annoncer qu’il s’appelle en fait Tony Luciano et qu’il se contentera de 20 000 $. Royston lui répond qu’elle craint qu’un autre tueur à gages ne prenne sa place pour lui faire la peau. Eid, alias Luciano, la rassure en lui expliquant qu’il n’y a que 700 tueurs à gages de par le monde et que son père, Michael Luciano, est leur patron à tous. Si jamais l’un d’eux obtenait un contrat pour la tuer, son père le saurait et l’en avertirait.
Une journée après cet échange téléphonique, à la fin duquel il donne deux semaines à Royston pour trouver l’argent demandé, Eid et sa femme s’envolent pour l’Irlande. Les affaires roulent : au même moment où il discutait avec Royston, il a été contacté par une deuxième cliente, une Irlandaise qui se fait appeler Lying Eyes (Yeux menteurs… de quoi inspirer confiance…).
Cette femme s’appelle en fait Sharon Collins. 45 ans, divorcée et mère de deux enfants, elle sort avec le promoteur immobilier multimillionnaire P.J. Howard depuis 1998. Leur histoire ne devait pas être de tout repos cependant puisque la police a par la suite retrouvé des courriels que Sharon avait envoyés à une émission de radio irlandaise dans lesquels elle accuse anonymement Howard de l’obliger à avoir du «sexe bizarre» et détaille ses préférences pour les prostituées, les transsexuels et l’échangisme.
Son problème : elle n’a aucun droit légal à l’argent du promoteur qui n’a aucune intention de l’épouser et qui veut laisser tout son argent à ses deux fils. Ne voulant qu’une chose, épouser son millionnaire pour avoir droit à sa part du gâteau, Sharon commence par payer 1000 $ sur le site web proxymarriage.com pour obtenir un certificat de mariage par procuration, croyant qu’elle s’assurera ainsi une partie de l’argent de son partenaire (ah, si c’était aussi facile…).
Elle décide ensuite de passer aux actes et de précipiter la mort du multimillionnaire en s’offrant les services de Tony Luciano. Écrivant à partir d’un ordinateur du bureau d’Howard (on est idiote ou on ne l’est pas), Lying Eyes raconte au tueur à gages à quel point elle déteste Howard et pourquoi elle doit les faire assassiner, lui et ses deux fils, pour se protéger.
Eid-Luciano donne son prix : 90 000 $ pour éliminer les trois hommes, avec un premier paiement de 45 000 $. Collins envoie 15 000 euros, soit un peu plus de 20 000 $ en août 2006. Un mois plus tard, Eid et sa femme (la deuxième) atterrissent à Limerick, en Irlande. Leur vol et leur hôtel sont payés avec une carte de crédit au nom de PJ Howard. Le lendemain, alors que Collins est en Espagne avec Howard, un cambriolage a lieu dans les bureaux de ce dernier, situé non loin de Limerick : deux ordinateurs disparaissent, dont celui qu’avait utilisé Collins pour écrire à Eid-Luciano.
Après ce vol, Eid contacte le fils aîné de Howard et le met au courant de la prime mise sur la famille Howard. Il lui explique qu’il est prêt à oublier le contrat en échange de 100 000 euros (137 000 $). Le fils accepte de le rencontrer dans un hôtel le soir suivant. Mais le fils appelle aussi la police et les officiers sont au rendez-vous lorsque Eid arrive à l’hôtel pour l’échange.
Cinq mois après l’arrestation du «tueur à gages», les policiers ont arrêté Collins après avoir retrouvé dans l’un des ordinateurs que Eid avait volé dans les bureaux de Howard un courriel envoyé à Tony Luciano par Lying Eyes. Collins par contre clame son innocence et déclare que toute l’affaire aurait été ourdie par une certaine Maria Marconi qui aurait eu accès à son ordinateur et qui aurait contacté Luciano. Comme aucune trace de cette femme n’a été retrouvée, Collins a été reconnue coupable de sollicitation et de conspiration pour meurtre. Quant à Eid, il a été reconnu coupable d’extorsion et purge présentement six ans de prison en Irlande.
Six ans auxquels viendront certainement s’ajouter quelques autres condamnations puisque, entretemps, Marissa Mark a été arrêtée et accusée de conspiration et de vol d’identité (la pauvre avait payé Eid via PayPal avec… trois cartes de crédit volées…).
Vous trouvez que tout cela ressemble à une comédie ? Vous n’êtes pas les seuls. Quand on tape dorénavant l’adresse www.hitmanforhire.net, on tombe sur le site d’une maison de productions de films qui a acheté l’adresse après que le FBI ait fermé le site de Eid alors que se tenait son procès durant l’été 2008. Leur but tout à fait avoué : faire un film de cette histoire qui a tout ce qu’il faut d’invraisemblance et de bizarrerie pour devenir une populaire comédie dramatique.